Visuel du rendez-vous, représentant un ordinateur central qui cherche à se brancher et à connecter toustes les élèves doté·e·s de prises de courant.


Contre l'invasivité du numérique à l'école, rassemblons-nous pour une action collective ce vendredi 26 mai, de 11h30 à 14h (heure de fin de réunion de la commission permanente), sur le parvis de l’Hôtel de Région, 1 place Adrien Zeller à Strasbourg !

Au programme : pic-nic sur fond musical, performances artistiques d'élèves autour de la numérisation, prises de parole et retours d’expériences de lycéen·ne·s, de parent·e·s et d'enseignant·e·s, et adresse aux élu·e·s au Conseil régional pour une évaluation du “4.0”.

EDIT : un article rétrospectif sur la mobilisation a été publié par le média local rue89 Strasbourg, « Le tout numérique est une forme de maltraitance » : parents d’élèves et professeurs mobilisés pour questionner le lycée 4.0.

Les associations Hackstub et Alsace Réseau Neutre soutiennent cette mobilisation, dans le prolongement du Hack ver Alli Éducation sous Surveillance tenu le 21 octobre 2022 au Shadok et des revendications d'ARN, notamment sur le refus de l’équipement des pré-ados en produits numériques personnels et de l'interdiction des systèmes de crédit social et/ou de notation similaires (tel que Parcoursup). Par ailleurs, nous pensons que l'équipement des élèves se justifie très mal : iels n’ont pas forcément la capacité d’abstraction pour comprendre ce qui est en œuvre au travers des applications des géants du net. Or, les équipements distribués sont souvent verrouillés, et sont des chevaux de trois pour les logiciels propriétaires. L’équipement en tablette ou montre connectées, quant à lui, semble à proscrire car il est plus difficile de créer avec ces outils (l’activité par défaut sur ce genre de média reste la consommation de vidéo, d'app ou de jeux). Ces politiques numériques sont donc plus axées sur la distribution que sur l’éducation, et elles sont rarement évaluées.

Relai du texte de revendications des collectifs CoLINE et Nous Personne

Depuis 2017 la Région Grand Est déploie le « lycée 4.0 ». Il est chaque année passé commande de dizaines de milliers d’ordinateurs portables aux firmes HP et Bechtle pour équiper la totalité des élèves des quelques 350 lycées de la Région, avec un coût annuel actuellement estimé à 36 millions d’euros. Et les manuels scolaires papier ont été supprimés. À quelle nécessité le déploiement d’un tel dispositif est-il censé répondre ? Est-il réellement pertinent sur le plan pédagogique ? Et à l’heure où la sobriété s’avère nécessaire, ne doit-on pas aussi s’interroger sur le coût environnemental qu’il représente ?

Des questions qu’il est d’autant plus urgent de poser que la Région Grand Est est pionnière dans la numérisation intégrale de ses établissements. La numérisation de l’école est en effet un projet national porté depuis 2015 par le ministère de l’Education, qui avance à un rythme variant selon les collectivités locales. Mais elle est bel et bien appelée à se généraliser sur l’ensemble du territoire, de la maternelle au lycée. D’ores et déjà, un peu partout en France on distribue des tablettes aux écoliers dès l’âge de trois ans. Comme en Grand Est, aucune concertation n’a lieu en amont, ni des enseignants, ni des parents d’élèves. Et bien que souvent présentés comme « expérimentaux », la pertinence de ces changements d’usages imposés n’est jamais évaluée, ni par les collectivités ni par l’Education nationale. Pourquoi ?

Élus comme citoyens, notre responsabilité n’est-elle pas de nous interroger sur ce que la numérisation de l’école représente comme projet de société ? N’est-il pas de notre devoir de nous questionner sur les
impacts de cette « modernisation », tant sur nos enfants que sur notre environnement ?

Même au plus haut de l’institution, la mutation numérique interroge. Sur commande du ministre, le Conseil Supérieur des Programmes (CSP) a rendu en juin dernier un avis sur « la contribution du numérique à la transmission des savoirs ». Il est frappant de constater que le dernier tiers de ce rapport, s’appuyant sur des centaines d’études scientifiques, enquêtes et auditions, remet explicitement en question la numérisation de l’école. En le lisant attentivement, on y trouve même le recensement de tous les éléments d’une catastrophe en cours.

Sur le plan pédagogique, ce rapport explore les incidences sur les apprentissages scolaires. Il retire des enquêtes nationales et internationales que l’utilisation très importante des appareils numériques à l’école provoque une baisse des résultats, diminue la réflexion, la mobilité globale, la motricité fine, l’imagination, la sensibilité, qu’elle peut ouvrir la porte de l’illettrisme, et qu’elle amplifie les inégalités sociales en matière d’éducation. Il défend l’usage de l’imprimé, l’interaction humaine, la lecture à haute voix et les méthodes pédagogiques éprouvées. Il invite à « privilégier dans l’environnement pédagogique la relation humaine et la réalité à la dématérialisation et au virtuel ».

Pour ce qui concerne la santé, le rapport égrène une longue liste de troubles causés par la surexposition aux écrans, qui vont des troubles de la vue, de l’attention, du sommeil, de la mémoire, du langage, du comportement, à la passivité intellectuelle et à la perte de capacités fonctionnelles, jusqu’à des pathologies graves d’ordre psychologique et psychiatrique (isolement social, symptômes dépressifs et anxieux, schizophrénie, troubles de la croissance). Il est attesté que l’usage actuel et croissant des écrans est nuisible au développement physique, psychique et cognitif des enfants.

Sur le plan des relations humaines, il est question de troubles de la sociabilité et du contrôle des émotions, de brouillage des frontières entre les sphères privée et scolaire, d’appauvrissement des relations intrafamiliales, causés par une sursollicitation attentionnelle exogène. Le rapport du CSP juge par ailleurs que l’irruption du numérique dans la sphère éducative met en péril le projet pédagogique et anthropologique que porte l’école : l’apprentissage et l’assimilation des connaissances, ainsi que l’accès aux savoirs et l’indépendance intellectuelle qui en découlent.

Reste l’impact environnemental et énergétique. Il est estimé qu’un ordinateur portable de 2kg mobilise 600 kg de matières premières, 22 kg de produits chimiques, 240 kg de combustibles et 1,5 tonne d’eau claire. À l’approche d’une sécheresse estivale annoncée comme redoutable, on apprend que les usines de puces électroniques comme celles de Crolles en Isère consommeront bientôt 336 litres d’eau potable par seconde ; et que les data centers où sont stockées les données informatiques en croissance exponentielle, dont il faut refroidir en permanence les serveurs, nécessiteraient en 2030, rien qu’en France, l’équivalent de la production électrique de 3 à 4 réacteurs nucléaires. À présent que les alertes sur l’effondrement du vivant, le climat, l’océan, la biodiversité et les pollutions se succèdent à un rythme effréné, et face à leur gravité croissante, le « catastrophisme » est définitivement du côté de ceux qui choisissent la surdité et l’inaction. En décembre 2022, à l’occasion de la COP sur la biodiversité à Montréal, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a enjoint à l’humanité de rompre avec ce qu’il appelle une « orgie de destruction » et un « pacte de suicide collectif ». « Avec notre appétit sans limite pour une croissance économique incontrôlée et inégale, l’humanité est devenue une arme d’extinction massive » ; « Nous traitons la nature comme des toilettes et, finalement, nous nous suicidons par procuration. [...] Contrairement aux rêveries de certains milliardaires, il n’y a pas de planète B ».

L’usage inconsidéré du numérique est une injonction qui n'est plus tenable : ce n’est pas un confort, c’est un conformisme et une paresse dont les effets sont malheureusement dévastateurs. La pollution numérique, après avoir doublé celle du trafic aérien, est en train de rattraper celle du trafic routier mondial. Concernant les déchets, quelqu’un s’est-il demandé, à la direction de la Région Grand Est, dans quelle poubelle se retrouvent les centaines de milliers d’ordinateurs qu’elle a déjà distribués ? Quels élus des collectivités locales se le demandent lorsqu’ils votent les dotations en tablettes de leurs collèges et écoles ?

Nous demandons qu’il soit procédé au plus vite à une évaluation indépendante de l’impact pédagogique, sanitaire et écologique du dispositif « lycée 4.0 » en Grand Est, et que celle-ci constitue une base impérative à la réflexion des élus de la CEA sur l’équipement des collégiens en tablettes. Nous demandons également que dans le cadre de cette évaluation soient auditionnés avant tout des acteurs directs de l’éducation au contact quotidien de la réalité des établissements : enseignants, parents d’élèves et lycéens. Cette évaluation est nécessaire et urgente. Et si les résultats de celle-ci devaient ne pas s’avérer probants, alors le dispositif « lycée 4.0 » doit être supprimé, et le projet de numérisation des collèges interrompu. L’expérimentation doit cesser. Nos enfants ne sont pas des cobayes !

À tous les élus des collectivités territoriales, à qui l’État s’apprête à forcer la main pour qu’ils votent de nouveaux plans de numérisation de l’école, nous adressons rappel du jugement cinglant qu’a formulé le Conseil Supérieur des Programmes : regrettant l’absence d’évaluation des expérimentations déjà engagées, celui-ci déplore qu’on ait pu « privilégier des logiques économiques ou clientélistes à défaut d’objectifs pédagogiques définis », et recommande de « ne pas considérer l’Éducation nationale comme un marché ouvert aux stratégies commerciales des acteurs commerciaux et notamment des géants du numérique ».

À l’heure où déferle l’« intelligence artificielle » et alors que nous avons déjà passé de trop nombreux points de non-retour en termes environnementaux, le véritable défi n’est autre que préserver l’indépendance de l’Homme face à la machine. Pour qui entend défendre la démocratie, existe-t-il plus nécessaire urgence que cultiver l’intelligence bien humaine des futurs citoyens ? Et pour qui se soucie des conditions d’habitabilité de notre planète, plus nécessaire urgence que s’opposer à la surenchère de la destruction ?