L'heure est grave sur le net : à l'instar de la télévision et de la presse, les grandes plateformes et médias d'internet sont désormais ouvertement fascistes. Que s'est-il passé et comment s'en sortir ?
Contexte
Facebook, Instagram, Snapchat, Whatsapp et Threads (groupe Meta), X (ex-Twitter) et Amazon sont depuis longtemps dénoncés par les militant⋅e⋅s des droits humains sur internet comme des pièges visant à notamment imposer au monde un système qualifié tantôt de capitalisme de surveillance, tantôt de féodalisme, voire simplement de colonialisme. Par ailleurs, ces plateformes se sont récemment illustrées en tant qu'auxiliaire des forces de l'ordre dans l'application de politiques publiques réactionnaires, comme la criminalisation de l'IVG.1
Ces derniers mois, les patrons de ces entreprises (Zuckerberg, Musk, Bezos) ont de plus en plus ouvertement assumé des politiques fascistes, menant campagne pour Donald Trump. Et depuis sa victoire, les choses se sont accélérées. Les politiques de modération ont été modifiées pour tolérer explicitement et même promouvoir les propos racistes, LGBTIphobes et autres fausses informations tout en censurant les voix progressistes, sinon effacer l'histoire. Des licenciements de masse et des réorganisations dans la gouvernance de ces entreprises ont achevé d'en faire des espaces de conspiration pour imposer des discours d'extrême-droite au monde entier.2
Pendant ce temps, Trump annonçait son ambition d'annexer le Groënland, le Canada et le canal de Panama afin de contrôler et produire toujours plus de pétrole et autres ressources.. Et 24h après sa seconde investiture en tant que président des US, Trump avait déjà signé des mesures non seulement écocidaires mais même potentiellement génocidaires à l'encontre de minorités3, érigées en boucs-émissaires. Que ce soit à l'égard des migrants ou des personnes intersexes (nées avec des caractéristiques des deux) et transgenres, interdisant toute mention du genre dans les administrations pour en revenir à une définition du sexe binaire4, déclarer l'état d'urgence à la frontière avec le Mexique, sortir de plusieurs accords internationaux... et Musk a fait des saluts nazis pour célébrer sa “victoire”. 5
Les appels à quitter ces réseaux et rejoindre des plateformes alternatives se sont donc multipliés ces dernières semaines et, depuis, nous pouvons au moins nous rassurer d'y voir une arrivée massive de connaissances alarmées.6
L'objectif
Pour développer notre autonomie, des hackers ont commencé à proposer des alternatives aux plateformes commerciales dès 2008. Certaines de ces solutions sont aujourd'hui regroupées derrière la notion de fédiverse7 : une fédération de médias sociaux. Mastodon est une alternative proche de Twitter. Pixelfed est une alternative à Instagram. Peertube pour Youtube, Lemmy pour Reddit, Funkwhale pour Soundcloud, etc. Tous utilisent un même protocole pour publier, liker, commenter des contenus entre ces différents médias. Comme pour les mails, on peut être sur un serveur et communiquer avec d'autres, et surtout il est possible d'administrer le sien. Ils sont donc plus résilients face à la censure, à la surveillance et au cyberharcèlement.
On peut utiliser des analogies pour expliquer le principe : les réseaux commerciaux sont comme des clubs ou des bars franchisés, dans lesquels il est nécessaire d'avoir une carte de fidélité qui enregistrerait toutes nos infos pour pouvoir rentrer et parler avec ses proches. Par ailleurs, leurs patrons et leurs vigiles discriminent toutes les personnes et avis non-conformes à leurs standards, qui se voient donc marginalisés.
À l'inverse, læ fédiverse est une fédération de lieux (serveurs) comme pourraient l'être, à Strasbourg, le Molodoï, Bretz'selle, la Taverne Française ou la Hackstub : des lieux où il est possible de juste venir boire un café avec ses amis, écouter des concerts, partager des savoirs-faire et réparer son vélo, assister à des conférences, s'informer sur l'actualité ou bien s'impliquer plus dans l'organisation, à la seule condition de respecter sa communauté.
Même si ces communautés (serveurs) peuvent communiquer entre elles (interopérables), adhérer (s'inscrire) à l'une d'elles en particulier permet de trouver plus rapidement des gens et contenus qui nous intéressent. Il existe des serveurs généralistes francophones comme piaille.fr ou framapiaf.org. Un outil en ligne (descendre au milieu de la page) est disponible pour trouver le serveur qui correspondra le mieux à votre profil.
Un autre intérêt de rejoindre d'autres serveurs que celui par défaut (mastodon.social, géré par un développeur historique du logiciel) est celui de réduire le risque de dérives futures sur ce réseau. Utiliser des serveurs plus petits, c'est donc aussi une question de décentralisation et de résilience de l'ensemble. Quoi qu'il en soit, pas de stress : il est possible et même facile de migrer son compte d'un serveur à un autre. On peut donc essayer l'un ou l'autre pour commencer, puis basculer sur un autre par la suite.
Conclusion
De nombreuses voix se sont récemment exprimées sur les réseaux dominants pour défendre la nécessité d'y maintenir une présence et un contre-discours alternatifs. Nous pouvons comprendre l'intention et saluer tous les efforts pour empêcher à l'extrême-droite de gagner leur contre-révolution culturelle sur ces plateformes. Aujourd'hui, ces médias leur appartiennent désormais intégralement et les voix divergentes y sont de plus en plus invisibilisées. De notre côté, nous avons fait le choix depuis 2019 de prioriser la contribution à des alternatives, sur notre compte Mastodon @hackstub@kolektiva.social et sur notre site web, en y publiant nos contributions en premier lieu plutôt que d'entretenir la captivité dans des services aliénants. Cela ne nous empêche pas de repartager ces publications ailleurs à titre individuel.
Nous croyons en tous cas qu'il est plus que jamais urgent de regagner en autonomie et en capacité d'organisation, notamment en s'appropriant les alternatives existantes, afin d'éviter de laisser nos communications au mains des fascistes sur leurs plateformes. Le risque était déjà grand auparavant, c'est désormais une réalité indéniable. Si vous avez besoin de soutien ou de plus d'informations, n'hésitez pas à nous rendre visite les vendredis soirs !
Faire tourner l'information
Nous avons pu constater ces derniers jours qu'il existait un véritable gouffre entre les populations les plus averties vis-à-vis de l'actualité (et qui ont donc franchi le pas vers mastodon ou autre) et une plus grande quantité, hélas majoritaire, de personnes qui l'ignorent totalement. C'est pourquoi nous avons écrit cet édito, pour tenter au mieux de résumer le contexte et informer sur læ fédiverse. Si cet objectif vous semble atteint, n'hésitez pas à le partager autour de vous. Puisque nous l'avons adapté au contexte local, nous vous proposons aussi une version plus globale (licence CC0, vous pouvez librement le reprendre et l'adapter à votre ville) ici : https://pad.public.cat/s/quit-bigtech#
Quelque soit l'alternative que vous préférez, l'essentiel est d'informer sur la situation afin de ne pas laisser son entourage aux prises de la désinformation. Libre à vous de reprendre tout ou partie de ce contenu pour l'adapter à votre manière.
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RTBF : Aux Etats-Unis, Facebook livre à la police les conversations d’une jeune fille poursuivie pour avortement ↩
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France Info : Les nouvelles règles de Meta autorisant à traiter les personnes LGBT de "malades mentaux" sont-elles applicables en France ? ↩
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AFP : Pied au plancher, Trump entame son deuxième jour de mandat. ↩
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Maison Blanche : DEFENDING WOMEN FROM GENDER IDEOLOGY EXTREMISM AND RESTORING BIOLOGICAL TRUTH TO THE FEDERAL GOVERNMENT ↩
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Le mouvement HelloQuitteX permet notamment de suivre sa communauté pendant cette migration. ↩